Niki de Saint Phalle: Les Nanas au pouvoir
Il en va, chez Niki de Saint Phalle, d’une stratégie de l’occupation. A partir d’un centre assigné, une force expansive se propage de sorte à venir recouvrir toutes les surfaces alentour. D’une vitalité aveugle,sa progression incorpore sur son passage les corps étrangers tout autant qu’elle dissout les réalités séparées. Accordées à sa danse frénétique, les frontières se font serpentines et les dualismes entrent à leur tour dans la transe.
La manifestation visuelle du système joyeusement proliférant de l’artiste nous est déjà familière. Ses tropes formels participent de la mémoire collective tout autant qu’ils sont intégrés au paysage ordinaire. Pour la plupart, la franco-américaine Niki de Saint Phalle, née en 1930 à Neuilly-sur-Seine et disparue à San Diego en 2002, se confond avec ses avatars, ces Nanas qu’elle aura lancées de par le monde et qui, depuis, semblent continuer de s’auto-générer sans fin.
Les Nanas, qui apparaissent dans le travail de l’artiste en 1965, exacerbent la chair tout autant qu’elles l’annulent. Une tête en pointe d’épingle surmonte un corps s’élevant dans les airs, librement tracé à la manière d’une esquisse à main levée. Les « Nanas » prennent l’espace tout autant que leurs aises, robustes plutôt que voluptueuses, enfantines plutôt que sexualisées – femmes-volume, femmesprésence. Et en même temps, elles ont la légèreté bigarrée d’un signe, masquant leur corporalité derrière des atours de motifs et de couleurs, de fleurs et de coeurs – femmes-arabesque, femmesarmure.
En 1967, Niki de Saint Phalle inaugure au Stedelijk Museum à Amsterdam son exposition personnelle: elle l’intitule Les Nanas au Pouvoir. La révolution sexuelle gronde, mais ne dit pas encore son nom. Les Nanas la précèdent et la prolongent, l’amplifient et la pluralisent. D’abord déclinées en dessins, gravures, bas-reliefs et sculptures, elles s’étendront par la suite aux projets architecturaux dans l’espace public --- cathédrale, maisons, fontaines, cité – ou aux éditions, ces « multiples uniques » offerts à la possession intime et accessibles à tous.te.s – jouets gonflables, parfums, bijoux, foulards, bibelots.
Parce qu’elles ont depuis efficacement pris possession de leur environnement, de tout espace de circulation et de toute surface d’inscription, les Nanas nous habitent depuis un présent perpétuel plutôt qu’on les regarde ici et maintenant. A la Galerie Mitterand, les Nanas s’offrent à nouveau à la contemplation. Au centre s’ébroue une Nana monumentale en résine polyester peinte (Le Péril Jaune, 1969) : le péril, c’est celui qu’elle représente, elle et ses consoeurs (les plus petites sculptures soclées et la Nana Boa, 1983, ainsi que les lithographies des Nana Power, 1970), à l’ordre établi.
Ingrid Luquet-Gad
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Niki De Saint Phalle Foundation, Nana Boa, 1983
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Niki De Saint Phalle Foundation, Le Péril Jaune, 1968
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Niki De Saint Phalle Foundation, Nana Machine, 1976
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Niki De Saint Phalle Foundation, Nana moyenne danseuse, 1967-1971
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Niki De Saint Phalle Foundation, Portfolio Nana Power, 1970
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Niki De Saint Phalle Foundation, La Tempérance, 1985
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